Construire des notions en histoire

Publié le par thierry aprile

A propos du module disciplinaire du 19 février : Construire des notions en histoire

 

Deux objectifs

A partir de sa culture personnelle, de ses goûts, de ses intérêts… et des programmes et autres documents d’accompagnement, chaque enseignant doit se composer son dictionnaire personnel comportant des définitions opératoires et des questionnements.

Définitions (qu’est-ce que… la politique, l’économie, la culture, la société… ?), opératoires (qui incitent à la recherche : qui ? quand ? comment ? pourquoi ?...), et des questionnements (exemple, pour étudier un événement, et donc comprendre pourquoi il faut mémoriser telle date, je dois me demander : 1/ ce qui s’est passé 2/ pourquoi 3/ et alors ?)

Quelles entrées dans ce répertoire de notions ? (voir proposition en annexe à la fin de l’article), en sachant que l’entrée à partir d’une notion doit toujours être complétée par un lien avec la leçon, un peu comme dans la logique de l’étude de cas : que l’on choisisse n’importe quelle entrée, il faudra trouver le moyen de faire le lien (comment cette entrée me permet de comprendre le sujet traité).

 

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1/ Premier enjeu, la progressivité, et la programmation.

L’objectif est bien entendu l’acquisition de connaissances, mais aussi au-delà l’acquisition de réflexes, de questionnement des situations contemporaines. On peut partir des mêmes questions dès l’école primaire et les densifier progressivement.

Exemple, étudier un objet. Pour l’étudier, on peut se poser trois questions dès l’école primaire

1/ comment ça marche ?

2/ qui l’a inventé et pourquoi ?

3/ comment cet objet change la vie ?

Progressivement, dans ce cadre, on peut densifier le questionnement

1/ l’histoire technique : transformation de la matière, histoire du mouvement et de sa transmission, de l’emploi de sources d’énergie, du couple central invention/innovation…

2/ l’histoire des entreprises et de la production.

3/ l’histoire économique et sociale.

(NB pour 2 et 3, voir article consacré à l’histoire économique et sociale)

 

2/ Deuxième enjeu : comparaison à partir de situations historiques différentes.

On peut partir du débat exposé par exemple par Antoine Prost (in Douze leçons sur l’histoire, p129-130) entre « notion » et « concept » en histoire, qui aboutit à cette définition du concept en histoire

« … construit par une série de généralisation successives, défini par l’énumération d’un certain nombre de traits pertinents qui relèvent de la généralité empirique, non de la nécessité logique… il atteint une certaine forme de généralité parce qu’il résume plusieurs observations qui ont enregistré des similitudes et dégagé des phénomènes récurrents », définition qui explicite celle de JC Passeron, qui présente le concept en sciences sociales comme « un résumé de comparaison ». Pour départager les meilleurs et clore les références épistémologiques, on peut aussi citer le remarquable pédagogue soviétique LS Vygotski (Pensée et langage (1934), Paris, 1997, La Dispute, p372) : « les concepts scientifiques germent vesr le bas par l’intermédiaire des concepts quotidiens. Ceux-ci germent vers le haut par l’intermédiaire des concepts scientifiques ». Voilà de quoi fonder la démarche qui suit :

 

Exemple, étudier une ville.

a/ Par hypothèse, je me propose comme définition de la ville : « un paysage marqué par la densité des bâtiments, des hommes et des activités ; un territoire où se concentrent des fonctions d’échange de marchandises, d’argent, de pouvoir, de savoir, et secondairement des fonctions de production ; un lieu à la fois attractif et répulsif », je peux construire (soit implicitement, soit le faire dessiner et remplir progressivement avec les élèves) un « tableau comparatif ». On saisit bien que l’ordre exposé ici, d’abord la définition et ensuite le questionnement, est purement artificiel, et doit s’élaborer de façon dialectique au fur et à mesure de l’expérience de l’enseignant, de sa fréquentation des élèves, des documents des manuels, etc…

 

b/ établissement d’un questionnement :

 

1 le paysage urbain :

11 les monuments remarquables

12 le plan, principes d’urbanisme…

13 question des limites de la ville (centre/périphérie...)

 

2 les fonctions urbaines :

21 pouvoir (politique, justice, finance, savoir, culture, religion…)

22 production (artisanat, usines…)

23 la ville dans un système de relations et d’échange (ponts, routes, marchés, quartiers commerçants…)

231 rapports ville/campagne (comment et d’où la ville draine-t-elle sa nourriture, sa richesse, les matières premières qu’elle transforme…),

232 place dans réseau urbain (comment la ville est en relation de complémentarité, de dépendance, de domination… avec toutes les autres villes), notion de capitale (politique, économique, culturelle…)

 

3 les représentations de la ville

31 représentations positives, raisons de attraction

32 représentations négatives, raisons de la répulsion : crise permanente due au décalage constant entre besoins/ressources de logement, de déplacement, d’activités et entre tissu ancien et nouveau (ville palimpseste)

 

c/ construction du tableau comparatif :

 

 

ville romaine

ville médiévale

ville moderne

ville industrielle

11 

temples, arcs de triomphe, cirques, théâtre 

églises, cathédrales, hôtel de ville, beffroi 

style « classique », colonnade, hôtel aristocratique, immeuble de rapport 

gare, opéra, théâtre, banque, bourse, grand magasin, cinéma, immeuble de rapport

12 

réseau orthogonal (cardo/decumanus) centré sur le forum 

apparent désordre enchevêtrement derues et maisons basses mais ordre dans le découpage en paroisses, répartition des activités et métiers 

alignement, pavage, éclairage, numérotation des rues, modèle de la place et de la perspective 

percée rectiligne, réseau de viabilité urbaine : eau (adduction/évacuation), énergie (gaz puis électricité), transports (omnibus, vélo, tramway, métro….)

13 

 

murailles fermant la ville déterminant faubourgs et banlieues 

pavillons de l’octroi 

extension des banlieues

 

 

 

 

 

21 

forum 

évêché, hôtel de ville, château, université… 

hôtel de ville, parlement, banque, bourse, collèges 

hôtel de ville, banque, bourse, lycée, université,laboratoire, tribunal, chambres de commerce

22 

artisanat

artisanat urbain, métiers, corporations 

artisanat urbain, métiers, corporations 

boutiques

Artisanat, boutique

ateliers

usines 

231 

 aqueduc, marchés à échelle de Empire 

marchés à courte distance, foires à longue distance 

marchés agricoles régionaux, « manufacture dispersée » 

extension des marchés agricoles à la nation, puis au monde, chemin de fer, « exode rural », migrations internationales

232 

voies romaines, ports fluviaux, ponts 

ponts, foires 

ponts, foires 

Densification du réseau routier, fluvial, ajout du chemin de fer

 

 

 

 

 

31 

citoyenneté, évergétisme 

mouvement communal pour indépendance face au pouvoir religieux et/ou nobiliaire « air de la ville rend libre » 

valeurs bourgeoises d’accumulation, d’enrichissement et d’épargne, voire lutte contre pouvoir royal 

lieu d’innovation du progrès de l’enrichissement, du brassage social, spectacle sans cesse renouvelé de la mode et de la modernité

32 

ville encombrée, presque exclusivement consommatrice de ressources qu’elle ne produit pas 

misère, mendicité, émeute, incendie, insalubrité et surmortalité urbaine 

mendicité, délinquance, émeute, incendie, discours contre « réglementation étouffante » 

question ouvrière (taudis, misère…) question sociale (émeute, délinquance, prostitution…) question politique (barricade…)

 

d/ commentaire : on expose ainsi un démarche pour construire la notion de « ville », à partir des notions de « ville romaine », « ville médiévale », « ville moderne » et « ville industrielle » en France. La notion de ville ainsi construite permet de questionner des villes apparaissant dans des contextes différents (ex : la ville du XXIème siècle, la ville américaine, chinoise, dans la civilisation arabo-musulmane…), éventuellement de remarquer que nos concepts ne sont pas forcément opératoires dans toutes les situations historiques, que ce soit dans le cadre des programmes scolaires, ou dans le cadre de la vie quotidienne de l’élève, pour donner un cadre conceptuel à son expérience concrète.

                                                                                                                                                                   

3/ Troisième enjeu : l’élaboration d’un outil

 

Un outil pour le professeur dans la construction des cours, le choix des documents. L’enjeu est clair : il s’agit bien de réduire considérablement le temps de préparation des cours, en vertu de deux principes dont l’évidence brutale ne peut qu’aveugler :

QUAND ON SAIT CE QUE L’ON CHERCHE ON LE TROUVE PLUS RAPIDEMENT                                                                                                                                       

QUAND ON TROUVE UN DOCUMENT, ON PEUT MIEUX L’EXPLOITER QUAND ON SAIT CE QU’ON VEUT Y CHERCHER ;

 

Exemple à partir de la comparaison de deux images concernant la vie de Bonaparte tirées d’un catalogue d’exposition.

Dans un premier temps, ces deux images et leur comparaison nous conduisent naturellement à construire la notion de propagande, entre l’exaltation, le mensonge l’enjolivement, la vérité, la vraisemblance...

Dans un second temps, nous pouvons mobiliser un questionnement nécessaire à la construction d’une biographie pour utiliser au mieux ces deux documents                        :

1/ signalement (qui ? quand ?)

2/ comment le personnage est-il de son temps ?

3/ comment a-t-il modifié son temps

4/ comment et pourquoi on s’en souvient ?                                                                                                     

Donc, on peut faire questionner ces deux documents dans cet ordre, pour en tirer les informations suivantes

1/ qui est-ce ? (le général Bonaparte) dans quelles circonstances ? (le passage des Alpes)

2/ un militaire à cheval (ou à mulet), général d’une armée de la République (uniforme)

3/ l’extension de la République française aux « républiques sœurs »

4/ le général a construit « en temps réel » sa propre légende

Utilité de cette démarche. Dans un premier temps, on aurait tiré comme conséquence l’emploi de ces documents dans une quatrième partie, après une longue série de documents pour traiter les trois premières parties.

Dans un second temps, on se focalisera sur ces documents en n’ajoutant que d’autres documents nécessaires pour construire la biographie : un autre portrait de Napoléon, une notice de dictionnaire (pour le signalement), un uniforme de général d’armée du Directoire (pour son métier), une carte de la France et des républiques sœurs (pour son action).

 

Exemple 2

une photographie du quartier de la Bourse à Paris au début du XXème siècle

 

Dans un premier temps, on pourrait se contenter d’utiliser cette image pour illustrer la diversité des transports urbains : calèche, omnibus à cheval, automobile, bicyclette, tramway, métro…

Dans un second temps, on peut utiliser notre questionnement sur la ville

1/ paysage (densité du bâti, foule, aménagements urbains, monuments, immeubles, percées rectilignes…)

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